La COP28 et la transition

Cet exercice, très critiqué pour sa tenue dans un pays producteur d’hydrocarbures, ainsi que pour la participation, très remarquée, des lobbies pétroliers, est néanmoins parvenu à un accord sur une transition des énergies fossiles vers les énergies décarbonées :

• le texte mentionne une sortie de l’utilisation de toutes les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) mais ne parle pas de « phase out » (suppression progressive), un terme réclamé depuis des mois par une centaine de pays et des milliers d'ONG ;
• l'accord appelle toutefois à « une transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d'une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l'action dans cette décennie cruciale, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques » ;
• la majorité des analystes soulignent que l'accord comporte des lacunes, notamment le fait qu'il ne s'attaque pas aux plastiques et aux engrais polluants. Cependant, ils considèrent qu'il s'agit d'une étape importante vers la réalisation de l'objectif de l'accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.

La critique du concept de transition énergétique

Au cœur des accords de la COP28 réside le concept de transition énergétique. C’est cette notion de transition que le nouvel ouvrage de Jean-Baptiste Fressoz, Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, questionne et critique. Pour l’historien des sciences, la notion de transition est inappropriée, lui préférant la notion d’intensité carbone des économies.

• Fressoz critique le concept de transition énergétique pour plusieurs raisons. Premièrement, il estime que ce concept est trop simpliste et qu'il ne tient pas compte de la complexité de l'histoire de l'énergie. Deuxièmement, il considère que ce concept est trop optimiste et qu’il sous-estime les défis de la transition énergétique.
• Fressoz montre que l'histoire de l'énergie est marquée par des ruptures et des retours en arrière. Les énergies fossiles n'ont pas remplacé les énergies renouvelables, mais elles ont coexisté avec elles. Par exemple, la biomasse, qui est une énergie renouvelable, a continué à être utilisée à grande échelle pendant la révolution industrielle et a même contribué à sa mise en œuvre. Ainsi, le bois de la forêt des Landes a servi, tout au long du XIXe siècle à la construction des systèmes logistiques nécessaire à l’acheminement du charbon et à l’essor de la métallurgie nécessaire au développement du rail.
• L’auteur estime que le concept de transition énergétique est trop optimiste, car il suppose que les énergies renouvelables seront capables de répondre à tous nos besoins énergétiques. Or, les énergies renouvelables présentent des limites, notamment en termes de capacité à répondre aux besoins énergétiques de pointe.

L'idée de symbiose entre les sources d'énergie

Jean-Baptiste Fressoz propose une nouvelle approche de la transition énergétique, qu'il appelle la « symbiose énergétique ».

• Cette approche consiste à combiner différentes sources d'énergie, en fonction de leurs avantages et de leurs inconvénients. Il n’existe donc pas de rupture, mais une démultiplication par empilement et une mise en réseau des sources d’énergies (on pensera au coût énergétique nécessaire à la production des panneaux solaires ou des éoliennes, assuré par les énergies fossiles et nucléaires).
• L’historien estime que la prise en compte de la symbiose énergétique est une approche plus réaliste et plus durable que le concept de transition énergétique. Elle permet de répondre à nos besoins énergétiques tout en limitant les impacts environnementaux et sociétaux. Pour Fressoz, ce nouveau concept impose, en conséquence, une série de mesures :
  • une diversification des sources d'énergie, afin de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Les énergies renouvelables présentent, néanmoins, l’inconvénient d’une production discontinue dans le temps. Elles imposent, dès lors, de recourir, de manière limitée, au nucléaire ou au gaz  pour assurer la continuité des réseaux,
  • une amélioration de l'efficacité énergétique, afin de réduire notre consommation d'énergie,
  • une modification des comportements des consommateurs, afin de promouvoir une consommation plus responsable.

Deux podcasts de France Culture permettant d’appréhender l’ouvrage de Jean-Baptiste Fressoz sont disponibles par ce premier lien, ainsi que par le second.

Le concept de transition énergétique présente aussi des limites physiques et géopolitiques

Un autre ouvrage, celui de l’économiste Emmanuel Hache, pense aussi les limites de la transition énergétique dans « Métaux, le nouvel or noir ». Le livre explore les enjeux liés à la transition énergétique, en particulier l'importance des métaux critiques. L'auteur montre que ces métaux, indispensables à la fabrication des technologies vertes, sont menacés par la demande croissante et les tensions géopolitiques. Ils pourraient, de fait, constituer un goulot d’étranglement dans ce passage des sources d’énergies fossiles aux énergies décarbonées.

• Hache montre que la demande de métaux critiques est en forte croissance. La croissance de la population mondiale, qui entraîne une augmentation de la demande d'énergie, comme la décarbonation de l'économie avec le développement de nouvelles technologies vertes, ou encore l'essor des nouvelles technologies, telles que l'intelligence artificielle et la 5G, sont à l’origine de l’explosion de la demande de ce nouvel « or noir ».
• La croissance de la demande de métaux critiques est réalité géostratégique majeure (au même type que l’installation de géopolitique du pétrole au XXe siècle), car elle pourrait conduire à des tensions géopolitiques et à des pénuries. En effet, leur production est concentrée dans un petit nombre de pays, notamment la Chine, le Congo et l'Australie. Ces pays pourraient utiliser leur position dominante pour faire monter les prix ou en limiter l'accès.
• Pour Emmanuel Hache, il est donc nécessaire de développer le recyclage des métaux critiques, tout en proposant des alternatives technologiques et surtout de travailler à la sobriété énergétique.

Podcast de France Culture concernant cette question de la transition énergétique et l’après-pétrole